PUBLIÉ LE 12 NOVEMBRE 2020 PAR HILLARY LEBLANC Quand j’avais deux ans, ma mère m’a emmenée au centre commercial Highfield Square sur la rue Main, à Moncton, au Nouveau-Brunswick, pour acheter ma première petite culotte de grande fille. Deux skinheads blancs m’ont vue et m’ont traitée de « beau bébé nègre ». Ma mère blanche m’en a parlé pour la première fois environ cinq ans plus tard, pour me préparer à la vie difficile que la couleur de ma peau allait apparemment me donner. Quand j’avais douze ans, ma mère m’a suppliée de lire Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, pour que je comprenne mieux que les Noirs ont toujours été persécutés à tort, et continueront de l’être, jusqu’à ce qu’ils désapprennent leur ignorance.
Depuis la maternelle jusqu’au début de la dixième année, j’étais la seule personne noire dans mes classes. En dixième année, il y avait aussi un jeune homme noir, mais il n’était pas en immersion française comme moi; je n’avais donc que très peu de cours avec lui. À cette époque, les enfants disaient des choses généralement méchantes, des choses racistes que je ne savais pas comment interpréter. Je me souviens qu’on m’a appelée « barre de chocolat » et qu’un professeur a essayé de prétendre qu’il s’agissait d’un compliment, « parce que le chocolat, c’est doux ». Les parents de l’enfant m’ont apporté des biscuits faits maison pour que je me sente mieux, mais ça n’a pas fonctionné et, plus tard cette année-là, le même enfant a dessiné une croix gammée sur ma gomme à effacer géante. Avec le recul, je comprends maintenant que cet enfant cherchait à attirer l’attention; il causait constamment des problèmes et, moi, en tant que Noire, en tant que Différente, j’étais une cible facile. La situation se répétait souvent. En sixième année, j’ai laissé un groupe d’enfants faire rebondir à tour de rôle des raquettes de badminton sur ma coupe afro pour me sentir aimée et incluse. Je réalise maintenant que je me suis permise d’être une cible facile pour essayer de me faire des amis parce qu’être Noire, c’est un parcours solitaire, être Différente, c’est un parcours solitaire, mais aussi avoir la peau claire, c’est un parcours encore plus solitaire.
Ce que j’ai réalisé, c’est qu’en étant une fille à la peau claire, élevée par une mère blanche célibataire, je n’avais pas de figure paternelle, pas de communauté noire et pas de fierté pour un grand volet de mon identité. J’ai été complètement blanchie. Au cours de ma vie, j’ai dépensé des milliers de dollars pour essayer d’avoir des cheveux aussi raides que ceux des filles blanches avec qui j’ai été élevée. Je n’ai jamais voulu de poupées noires ou de poupées Barbie noires. Je voulais être comme les gens de mon entourage et les gens que me présentaient les médias. Par contre, même si je voulais être blanche, je ne l’étais pas. Les enfants me verraient toujours comme différente et ne comprendraient jamais le racisme auquel je faisais face. Mais, de surcroît, je n’avais pas d’identité noire non plus. Je ne pouvais pas me voir dans les gens au teint foncé. À l’école, j’avais l’impression que, même si les enfants se moquaient de moi, ce n’était jamais ce qu’ils percevaient comme des commentaires racistes à 100 %. Je ne pense pas qu’ils savaient à quel point ils étaient méchants, mais ce n’était certainement pas aussi raciste que ce qu’ils disaient et faisaient aux autres élèves réfugiés africains à la peau foncée dans mon école, mais il n’est reste pas moins que je me sentais encore plus mal qu’eux. Ces magnifiques élèves noirs sont arrivés dans nos écoles, subissant sans doute un choc culturel dont je ne sais rien, mais ils étaient là les uns pour les autres. Ils avaient des frères et sœurs, ou d’autres élèves noirs du même pays dans des classes différentes. Je sentais que je n’avais rien à contribuer à la conversation et que je n’avais aucun moyen de communiquer avec eux. De la première à la douzième année, j’étais en immersion française et ces élèves immigrants noirs étaient placés dans le volet anglais parce qu’ils parlaient déjà le français. J’étais trop consciente de mon français pour faire un quelconque effort et, à ce moment-là, j’avais renié tout ce qui constituait ma négritude. Je voulais être comme les enfants blancs. Je voulais être acceptée. Je ne voulais pas faire partie des Noirs ni de leur sens de la communauté; ainsi, pendant des années, je me suis sentie extrêmement seule.
Je suis convaincue qu’une partie de cette solitude a contribué plus tard à ma consommation excessive d’alcool et de drogues. Je voulais tant tisser des liens avec les autres, à tel point que j’aurais fait n’importe quoi pour être aimée. Laisser les enfants vous frapper sur la tête avec des raquettes peut rapidement dégénérer et en venir à penser qu’il faut payer un verre pour tout le monde au bar pour qu’ils vous acceptent.Même si j’ai commencé à me faire des amis, je n’ai jamais eu l’impression d’être suffisamment appréciée. Ces amitiés n’étaient pas suffisantes à l’époque, et j’avais toujours peur qu’elles ne fussent pas authentiques.Quand j’avais de 20 à 25 ans, la santé déclinante de ma mère s’est rapidement aggravée. Elle est d’abord devenue handicapée, puis a été frappée de démence par la suite. C’est son absence qui m’a poussée à boire et à me droguer pour me sentir moins seule. La situation est demeurée la même tout au long de mes études universitaires et aussi lorsque j’ai déménagé de Moncton à Toronto.
Ce n’est que lorsque j’ai déménagé à Ottawa et que j’ai commencé à passer du temps avec le côté noir de ma famille que j’ai commencé à accepter mon identité. J’ai eu l’impression de trahir ma mère, parce qu’elle était monoparentale, en envisageant ne serait-ce qu’une partie de l’héritage de mon père. Mais je crois qu’elle préfère que je sois heureuse et que je me sente moins seule plutôt que de n’être que sa fille. J’ai commencé progressivement à accepter mon identité noire, mais le fait d’emménager chez mon père avant la pandémie m’a propulsée dans la culture à un rythme effarant. Encore une fois, je voulais que ces gens m’acceptent et je voulais les comprendre. Je vis ici depuis un an maintenant et je me suis fait tresser les cheveux deux fois, j’ai essayé une nouvelle cuisine, j’ai participé au ramadan et j’ai fait d’innombrables choses que je n’aurais jamais envisagées quand j’étais enfant ou adolescente.
J’ai enfin l’impression que les deux mondes qui se sont heurtés pour me créer sont en train de fusionner et je m’en porte mieux.
Je suis Hillary, une femme de 26 ans, biraciale, bisexuelle et bilingue, née dans les Maritimes et travaillant maintenant en Ontario. Je suis plein de choses en même temps, et je suis heureuse d’écrire pour Noir dans les Maritimes.
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